Rencontre – Elena Alfaro, une femme terrorisée aujourd’hui libre de penser

En ce temps mémoriel avec la célébration des 100 ans de la fin de la première guerre mondiale, conflit qui a fait 1.4 millions de tués dans les rangs français, ou barbarie et cruauté ont planté leurs crocs dans le décor, bien plus tard, dans un pays d’Amérique du Sud, une dictature militaire « Proceso de Reorganización Nacional » plongeait l’Argentine dans la terreur (1976 – 1983).

Elena Alfaro a connu cet épisode, l’a vécu, elle qui pendant sept mois a été détenue dans le camp d’El Vesubio avec son mari. Aujourd’hui elle témoigne, son mari, non.

Coiffée à la Deneuve, lunettes de soleil dans les cheveux, son sourire apaise, ses silences pèsent. « Sept mois de votre vie, c’est beaucoup d’enseignements. C’est la tragédie d’une vie. Il faut essayer de comprendre encore maintenant » dit-elle dans un des salons de la bibliothèque au lycée Parriat à Montceau-les-Mines.

Elena Alfaro a 20 ans, va à la fac, milite, son compagnon est lui très engagé. Il est arrêté. « Nous nous retrouvons le 23 mai 1977 dans ce camp, je reconnais des amis. Nous sommes 17 ». Elena est épargnée. « Parce que j’étais enceinte ». Et sous la dictature on ne tue pas une femme qui attend un enfant. « Le chef du camp a dit: je la tue quand l’enfant naîtra » avant de le confier à une famille militaire. « Je ne le voulais pas alors j’ai dit, quand Dieu vous envoie la croix, il faut l’assumer ». Quand dictature et religion font plutôt bon ménage en Argentine et sauve une vie…

Libérée début novembre 1977, « je suis terrorisée, il ne faut pas que je parle ». Son fils naît juste après. En 1982, les militaires relâchent leur surveillance. Elena et son fils embarquent pour des vacances en Europe. Ils ne reviendront pas.

Quarante ans après, Elena Alfaro est française, habite près de Paris et dès qu’on lui demande, vient témoigner et, surtout, met en garde. « Ce qui s’est passé en Argentine peut arriver aujourd’hui si on ne l’arrête pas à temps ».

Son regard d’européenne convaincue n’est pas nécessairement rassurant. « Je suis très sensible pour reconnaître où commence la barbarie. On désigne un ennemi », précise-t-elle. Elle pointe alors la xénophobie, le racisme, l’antisémitisme, les immigrés. « On ne peut pas être indifférent à la mort des gens en Méditerranée. Alors je suis inquiète. Si nous avons des valeurs, celles de la république, nous devons les appliquer à notre vie, faire preuve de solidarité ». 

Sept mois dans un camp, ça donne à réfléchir, non !

Avant de repartir, Elena Alfaro replonge dans « La vie est  ailleurs » de Kundera ou regarde l’horizon. Une vie si proche, si loin de l’enfer qu’elle ne veut plus connaître.

Jean Bernard

 

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