Outre les dépôts de gerbes des syndicats et de la ville de Montceau, nous publions le témoignage de Bernard Gueidan. En janvier 1958, il allait sur ses sept ans. Il raconte la vie à Montceau à cette époque, ses souvenirs avant que la terrible nouvelle n’arrive.
Aujourd’hui l’exploitation du charbon a totalement disparu de Montceau-les-Mines et du Bassin minier, la mémoire de ces temps de labeur, de la vie de ces mineurs de fond, est toujours bien vivace. Elle l’a été encore davantage de 16 janvier 2025, journée hommage à la catastrophe au puits du Bois du Verne à Montceau-les-Mines, dit puits Plichon, le 16 janvier 1958.
Cette tragédie a marqué et marque encore les esprits et le cœur des habitants du Bassin minier. Une catastrophe avec un très lourd bilan, 20 morts. 20 mineurs décèderont après un tir de mine à l’air comprimé.
Ce 16 janvier 2025, dans la matinée, les syndicats Mines Energies CGT et FO Mines, ont déposé une gerbe de fleurs au monument des victimes de la mine. La ville de Montceau avec Marie-Claude Jarrot en tête a déposé la sienne en début d’après-midi avant de se recueillir sur le lieu même du puits Plichon.
Cette date du 16 janvier 1958, des Montcelliens s’en souviennent comme Bernard Gueidan. Il nous livre son témoignage (lire ci-dessous).
L’évocation de la catastrophe de Plichon dans le documentaire « La vie des quartiers de Montceau de 1945 à 1990 » ainsi que sa date anniversaire ce 16 janvier ont réveillé en moi des souvenirs plus ou moins enfouis. J’ai alors pensé qu’il pouvait être de quelque utilité de les évoquer, en ne les dissociant pas du cadre de vie qui était le nôtre, enfants de mineurs. Je sollicite juste l’indulgence de ceux qui liront ces lignes pour les éventuelles erreurs ou approximations concernant des faits qui se sont déroulés il y a bien longtemps.
En ce début d’année 1958, j’allais sur ma septième année. Nous habitions à l’époque dans une maison de la mine à la cité des Cours, au pied du puits Darcy, là où travaillait mon père, électro mécanicien “au fond”.
La cité était bordée d’un côté par celle du Pré Long aujourd’hui disparue – là où le Misto, mon grand copain, lui-même mineur, a habité -, faite d’habitations semblables à celles de Rouverat et bien sûr entourée de grands jardins potagers. De l’autre côté il y avait celle de l’Ecuyer, pleine de vie, laquelle hébergeait entre autres l’épicerie de chez Rancier (et ses “chuime gome” à un centime), ainsi que le café de chez la Stevka (il me semble que c’était le nom de la patronne), haut lieu de “communion” pour les mineurs et témoin de scènes mémorables, surtout le jour de la paye… !
En face de la cité, il y avait l’immense carrière des Génatas, ancienne exploitation à ciel ouvert, que tout le monde appelait « les Ch’natas ». C’était notre terrain de jeux, terre d’aventures, non sans danger car il y avait encore des départs de galeries, certaines fermées par des portes métalliques, d’autres partiellement obstruées, où se cachait, on en était sûrs, la Galipote, prête à nous attraper. On aimait se faire peur en tapant contre la porte et en détalant comme des lapins, en criant « la Galipote, la Galipote ! ».
La journée du 16 janvier, on n’a pas vu nos copains. Je crois me souvenir que la sirène de Darcy hurlait par intermittence. Etrangement, notre maman n’a pas voulu que nous attendions notre papa à la sortie du puits Darcy. Elle ne nous a pas donné la raison, mais pas question de discuter ! On aimait pourtant bien aller l’attendre le jeudi quand il était du poste du matin, fiers de l’accompagner, toujours un peu intimidés car il avait le pourtour des yeux tout noir de poussière de charbon.
Ce jour-là papa est rentré tard et on était déjà couchés.
A l’école, le lendemain matin, il régnait une atmosphère inhabituelle. Des élèves, les grands, parcouraient la cour, formaient des groupes et on les entendait répéter, tout excités, « y’a eu un coup de grisou à Plichon, y’a eu un coup de grisou à Plichon »,
Les maitres d’école se tenaient immobiles, en cercle, au milieu de la cour. Ils ne nous regardaient pas et parlaient entre eux. Nous attendions, un peu surpris – l’heure d’entrée en cours étant largement dépassée – que le directeur (je crois que c’était Monsieur Nicot) nous signifie de nous mettre en rang devant nos salles de classe respectives. Une fois dans la salle de classe et assis à nos pupitres en bois, des bancs étaient vides. La maitresse nous a alors dit qu’il n’y aurait pas classe ce matin-là. Elle nous a laissés repartir dans la cour où des grands, déjà bien informés, disaient qu’un coup de grisou, ça brûlait tout dans les galeries…
Même si je ne comprenais pas vraiment ce qui s’était passé, je sentais bien que quelque chose de grave était arrivé, même si j’ignorais ce qu’était un coup de grisou comme j’ignorais où était Plichon.
Plus tard dans la matinée, des mamans pressées sont venues récupérer leurs enfants. Nous avons alors commencé à nous mettre contre le portail qui donnait sur la rue de Lucy, avec l’espoir en ce qui me concerne que notre maman vienne nous chercher. On pouvait voir des gens marcher en direction de Lucy, bien plus nombreux que d’habitude. Je me souviens aussi du passage d’un groupe de religieuses- on disait les « Bonnes Sœurs » -, silencieuses, tête baissée et qui avançaient rapidement, elles aussi en direction de Lucy.
Après, on est rentrés chez nous, sans s’arrêter, pour tout dire à notre maman qui savait déjà.
Quelque temps après le drame, alors que c’était le moment du “quatre heures” que nos mamans nous préparaient, je suis allé « choûgner » auprès de la maitresse car un copain de la classe avait pris mon goûter. La maitresse m’a répondu qu’elle ne le gronderait pas parce qu’il n’avait plus son papa. Je suis resté interdit face à cette impossible nouvelle pour l’enfant que j’étais : il n’avait plus son papa !
Par la suite, en classe, je ne l’ai plus considéré de la même façon. Je crois me souvenir qu’il s’appelait Amédée. Peut-être qu’il lira ces lignes…
Bernard Gueidan