CERCLE « AUTOUR DE LA PENSÈE DE MARX » – novembre 2018
Dans nos précédentes contributions nous avons évoqué la vie d’Antonio Gramsci et son apport original à la pensée «marxiste ». Il affirmait notamment le rôle de la volonté contre le déterminisme ambiant de son époque et l’importance de la contribution des intellectuels dans le processus révolutionnaire de la société. Avec la philosophie de la praxis, qui lie la pratique et la pensée et vice-versa, Gramsci affirme la nécessité de prendre conscience de l’héritage culturel dominant pour développer, d’une manière critique, sa propre culture. Avec les concepts d’hégémonie culturelle et de bloc historique Gramsci affirme que le pouvoir se gagne par les idées et par la mise en place d’un nouveau bloc historique constitué par la structure et les superstructures de la société. Nous poursuivons notre réflexion sur l’apport théorique d’Antonio Gramsci.
L’intellectuel collectif
Gramsci et « Le Prince » de Nicolas Machiavel – On peut dire que Machiavel avec « Le Prince » a fondé une nouvelle pensée politique moderne en affirmant, a partir de l’analyse des réalités politiques de son temps, l’autonomie de la science politique par rapport à l’éthique. Gramsci s’inspire de cette courte œuvre littéraire de 1513 pour proposer une série de concepts adaptés à notre époque (Notes sur Machiavel – cahiers de prison). Gramsci dit que « Machiavel traite de comment doit être le Prince pour conduire un peuple à la fondation du nouvel Etat, et son exposé est conduit avec rigueur logique, avec attitude scientifique » pour en faire un « manifeste politique ». Selon Gramsci le Prince d’aujourd’hui ne peut être une personne réelle, un individu concret, comme l’imaginait Machiavel, mais un élément de la société, un intellectuel collectif, un organisme né dans le développement historique de la société, c’est à dire le parti politique.
Le parti politique – Constatant qu’existent historiquement des dirigeants et par conséquence des dirigés, Gramsci affirme que cette « division du travail » pourrait s’estomper avec le temps et il précise que « les partis politiques peuvent se présenter sous des noms très différents, même celui d’antiparti et de négation des partis ; en réalité, même les soi-disant –individualistes- sont des hommes de parti qui voudraient être chef de parti ». Sur la nécessité des partis politiques Gramsci note que lorsqu’on fait des choses, on fait toujours politiquement le jeu de quelqu’un, il est donc important d’essayer de faire bien son propre jeu avec son propre parti.
La naissance du parti politique – Gramsci se demande quand un parti devient-il historiquement nécessaire. Il répond qu’il faut trois éléments. 1er élément: un ensemble d’hommes communs disponibles à participer, avec discipline et fidélité, à un intellectuel collectif. 2ème élément: un centre de cohésion au niveau national qui rend l’intellectuel collectif efficient et puissant. 3ème élément: une structure moyenne qui relie le premier avec le second, non seulement physiquement, mais aussi moralement et intellectuellement.
Nécessité et nature du parti politique – Gramsci affirme que quelque soit le parti politique, il a une fonction sociale d’ordre politique et légal. Mais comment cette fonction est-elle exercée? Est-elle exercée dans un sens réactionnaire ou dans un sens progressiste? Elle est exercée dans un sens réactionnaire lorsque elle tend à réprimer les forces vives de l’histoire et à maintenir une légalité dépassée. Elle est exercée dans un sens progressiste lorsque elle tend à maintenir dans la légalité les forces réactionnaires dépossédées et porter au niveau de la nouvelle légalité les masses arriérées. Gramsci précise que le mode de fonctionnement d’un parti donné fournit les critères discriminants « quand le parti est progressiste il fonctionne -démocratiquement- (dans le sens d’un centralisme démocratique), quand le parti est réactionnaire il fonctionne -bureaucratiquement-(dans le sens d’un centralisme bureaucratique). Le parti, dans ce deuxième cas, est purement exécutant, non pas délibérant: il est alors techniquement un organisme de police et son nom de -parti politique- est une pure métaphore de caractère mythologique »
Le bonapartisme – Dans les notes dédiées à Robert Michels (Les partis politiques et la contrainte sociale, 1928), Gramsci écrit « le bonapartisme est la théorisation de la volonté individuelle, surgi à l’origine de la volonté collective, mais émancipée avec le temps pour devenir à son tour souveraine ». L’originaire nature démocratique du bonapartisme constitue la légitimation aussi de son présent antidémocratique; à travers le plébiscite il finit par conjuguer la démocratie avec l’autocratie. Même l’indépendance et l’éventuelle opposition à son propre acte de la part des corps intermédiaires sont un attentat à la volonté populaire qui a posé à travers le vote le pouvoir du prince au dessus de tout autre organisme. Donc Parlement, Magistrature, Administration doivent tous être des instruments soumis à la volonté du prince et à travers lui à la volonté populaire.
Guerre de position, guerre de mouvement, révolution passive – Ce que Gramsci a pu observer pour en recueillir une réflexion et une stratégie : la Révolution française de 1789 est une guerre de mouvement qui donne la victoire à la bourgeoisie sur l’aristocratie, après un débat d’idées de tout un siècle (Les Lumières) ; les révolutions de 1848 en Europe sont des guerres de mouvement parce qu’elles se propagent. La Commune de Paris 1871 est une guerre de position, vaincue par la famine et la discorde interne. La Grande Guerre 14-18 est d’abord une guerre de mouvement, puis une guerre de position à partir de 1916 : dans les deux cas elle est coûteuse en vies humaines. La Révolution Russe de 1917 est une guerre de mouvement (Le Palais d’Hiver n’a pas résisté bien longtemps pas plus que La Bastille)
Une pensée habite Gramsci : que l’Italie connaisse une nouvelle Renaissance. Celle-ci doit être le fait du Peuple, dont sont issus les intellectuels organiques (ceux qui ne font pas profession de l’être). Il lui faudra moduler sa stratégie, dès lors qu’il serait dirigé, dominé par une caste de dominants –dirigeants-savants. Les révolutionnaires doivent conjuguer leurs efforts pour rendre les foules à jamais passives et qu’elles deviennent conscientes pour se transformer en Peuple.
Serge ROIGT, Bruno SILLA, Jacky JORDERY – Montceau-les-Mines, le 9 novembre 2018
A suivre…