Voici le courrier adressé au président de la République par le CODEF.
Montceau-Les-Mines le 18 Mars 2020
Vos/ Références : Extraits de votre allocution télévisée du lundi 16 mars 2020 :
“Il nous faudra tirer les leçons, interroger le modèle de développement qui révèle les faiblesses……..Ce que révèle cette pandémie, c’est que la santé gratuite, sans condition de revenu ou de profession, notre État providence, ne sont pas des coûts mais des biens
précieux, des atouts indispensables….Ce que révèle cette pandémie c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché…Les prochaines semaines et mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. Je les
assumerai.”
Monsieur le Président,
J’ai bien conscience que mon courrier vous parviendra alors que votre temps sera principalement accaparé par la gestion de la crise sanitaire, économique et sociale que nous traversons. Mais compte tenu de l’importance de vos propos rappelés ci-dessus en référence, nous n’avons pu différer notre réaction qui comprendra deux volets.
Le premier concerne notre système de santé au bord de la faillite. Le second revient sur la situation du Centre Hospitalier de Montceau-Les-Mines que nous vous avons déjà présentée et qui illustre bien la faillite dont nous venons de parler. En espérant que la présente vous parviendra en mains propres et que la réponse ne sera pas de pure forme comme celles que votre cabinet
nous a fait parvenir lors de nos requêtes antérieures.
QUOI QU’IL EN COÛTE : vous avez asséné plusieurs fois cette volonté d’injecter les moyens financiers nécessaires au soutien, voire au sauvetage de notre économie, de notre système social.
Cette mesure keynésienne prend le contrepied des thèses néolibérales que vous avez reprises à votre compte et qui visent à mettre tous les biens et services sous la loi du marché. En particulier la santé que la loi HPST et les mesures qui ont suivi ont voulu “marchandiser”. Frédéric Pierru, sociologue, affirmait dans une tribune récente que “le néolibéralisme a concentré à l’hôpital ce qu’il avait de meilleur. La désorganisation est totale, la rationalité néomanagériale à son sommet d’irrationalité, tout a été méthodiquement détruit”.
Le mode actuel de financement des hôpitaux a conduit à leur étranglement financier, à dégrader considérablement les conditions de travail des personnels et l’offre de soins. Les mouvements de grève aux Urgences enclenchés depuis des mois et maintenant dans tous les services hospitaliers attestent de la situation dramatique dans laquelle se trouve notre système de santé.
L’heure n’est plus aux tergiversations mais, comme vous l’avez annoncé, à “ tirer les leçons” des conséquences de cette pandémie, et à affirmer que la santé n’est pas une marchandise et fait partie intégrante de “ces biens et services qui doivent être placés en dehors des lois du marché ”.
C’est-à-dire à revenir aux fondamentaux sur lesquels, au lendemain de la guerre, notre système de santé a été construit par le CNR :
C’est-à-dire replacer l’humain au centre de l’économie dont il a été exclu depuis l’avènement du néolibéralisme dans les années 70/80. L’opportunité de vous dire que la politique des ARS, supervisée par votre gouvernement, est loin du compte. Que celle du Comité pour la performance et la modernisation de l’offre de soins (Copermo) n’obéit qu’à des objectifs financiers qui se traduisent par des fermetures de lits, de maternités, de services et de réduction drastique de personnels. Nous en avons fait la douloureuse expérience dans notre région.
Alors oui pour des décisions de rupture…… radicales.
>>> Et de toute urgence l’abandon du mode de financement des hôpitaux par la T2A dont les lacunes, les limites et effets pervers sont maintenant bien connus. Lors de votre campagne présidentielle vous vous étiez engagé auprès de Patrice Pelloux à réduire sa part à 50%.
Promesse non tenue. Et aujourd’hui c’est bien au-delà de ce quota qu’il faut aller pour refonder complètement le mode de financement des hôpitaux. Des travaux et propositions existent, notamment celles avancées par A. Grimaldi professeur de diabétologie, O. Lyon-Caen professeur de neurologie, F. Bourdillon médecin de santé publique, D. Rabuteau responsable de la chaire de santé à l’IEP de Paris, F. Pierru sociologue chercheur au CNRS, publiées dans leur Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire. Ils proposent un mode de financement mixte et équilibré reposant sur une tarification à l’activité (pour des activités techniques ou chirurgicales non répétitives comme la cataracte, adénome de la prostate….), une dotation globale de financement
et le cas échéant un prix de journée (pour les soins palliatifs par exemple).
>>> Parallèlement nous pensons que cette première urgence doit aller de pair avec un accroissement des recettes de la Sécurité Sociale par l’élargissement de l’assiette des cotisations à l’ensemble des revenus, la suppression des niches fiscales et si nécessaire une augmentation des prélèvements. La taxe sur les salaires évaluée à 4 Milliards d’euros consiste à reprendre d’une
main ce que la Sécurité Sociale donne de l’autre. Les hôpitaux doivent en être exonérés.
>>> arrêt immédiat des suppressions de services, de lits…Oui, il faut disposer d’une structure hospitalière publique assumant d’avoir, en permanence, des lits disponibles….quoi qu’il en coûte. Et pour ce faire proscrire le “ bed management dont s’enorgueillissait Agnès Buzyn il y a peu encore, qui soumet l’organisation au seul critère des flux tendus et du zéro-lit-libre (F.
Pierru), et qui de ce fait ne permet pas d’absorber le choc de charge provoqué par les épidémies.
Monsieur le président, ce ne sont pas là les seules décisions de rupture qui s’offriront à vous le moment venu. Pour ne pas alourdir notre courrier nous nous sommes limités pour laisser une place à notre deuxième volet consacré à notre CH, illustration locale de ce que nous venons d’exposer au plan global.
Depuis 2015 le mal nommé Copermo n’a pas cessé d’harceler notre hôpital pour le vider petit à petit de sa substance. Mal nommé car il cible la performance financière et non celle de l’offre de soins. Mal nommé car il ne vise pas à la moderniser mais à la déstructurer. Son dernier fait d’armes est d’avoir initier la fermeture intégrale de la chirurgie contre l’avis de la direction et
de tous les acteurs locaux : organisations syndicales des personnels, élus locaux, comité de défense des usagers. Il faut dire que pour priver d’offre chirurgicale les 105000 habitants résidant à plus ou moins trente minutes de notre hôpital, le Copermo dispose d’un serviteur zélé en la personne de monsieur Pribile, directeur de l’ARS Bourgogne Franche Comté.
C’est ainsi qu’en mai 2018, au seul motif de résorber le déficit du CH, le service de chirurgie est fermé. Résultat : le déficit a été aggravé de 50% passant de -6M€ à -9M€. Il n’en a pas tiré les leçons et la destruction continue : pour 2020 l’objectif n’est pas d’améliorer l’offre de soins mais de faire 3M€ d’économies. Et pour ce faire, entre autres, supprimer 15 emplois.
Vous avez dit rupture, répété plusieurs fois quoi qu’il en coûte. Alors on se prend à rêver, que vous allez vous entourer de collaborateurs chargés de mettre en place votre new deal, exiger que le directeur de l’ARS de Bourgogne Franche Comté rétablisse l’autorisation de chirurgie au sein de notre CH, bref que vous allez “assumer ” vos engagements pris avec gravité lors de votre allocution télévisée. Il y va de l’avenir de notre centre hospitalier, il y va de l’avenir de notre système de santé.
Dans l’attente de votre réponse, veuillez agréer, monsieur le président, l’expression de nos sentiments citoyens et dévoués.
Michel Prieur
Président du Codef