Ce mardi matin, Christiane va sans doute pleurer. Dans la nuit, le camp du Magny a été détruit (lire par ailleurs). Chaque matin, elle se faisait un plaisir de venir, se tenir derrière le comptoir et apporter un peu de réconforts aux gilets jaunes. Une rencontre avec une femme pleine de bon sens qui mérite ces quelques lignes. Pour vous Christiane.
Elle ne fait pas plus haut que sa taille. La bonne longueur pour les jambes, c’est quand les pieds touchent parterre, disait Coluche. La dame derrière le comptoir est pourtant une des figures des gilets jaunes. Alors qu’une soixantaine de ses compatriotes sont devant le commissariat dimanche soir, elles sont deux à tenir « la boutique » au Magny. Pas question de laisser le camp sans surveillance.
Christiane, c’est le petit rayon de soleil du matin aussi réconfortant qu’un café noir bien chaud, le sourire avec. De sa vie, c’est vraiment la première fois qu’elle manifeste. « Ce n’est pas pour moi. Je pense à mes enfants (un garçon de 38 ans et une fille de 41 ans) et à ceux gens autour de moi qui sont dans la misère » dit-elle plus prosaïquement.
Son mari est à la retraite. Christiane, 62 ans, l’a prise au 1er octobre 2018. Lui était cadre et « moi avec ma petite retraite de 750 €, nous ne sommes pas à plaindre ». Originaires de Côte-d’Or où madame a fait l’ouverture du Mammouth à Chenôve, s’est occupée de ses enfants avant de reprendre en usine, ils sont arrivés à Blanzy en 2000, tout rond. « Pour suivre mon mari » précise-t-elle. « N’est-ce pas chéri ? » Assistante maternelle à domicile, l’arthrose a eu raison de sa capacité physique. « Je n’ai pas pu continuer ».
Depuis la mise en place du pôle logistique au Magny, Christiane accueille chaque gilet jaune, un café par-ci, une tranche de gâteau par-là. « Je vois beaucoup de monde, je revis socialement » s’exclame-t-elle. Généreuse en amitié, elle l’est, sensible également. De voir tous ces gens malheureux lui transperce le coeur. Ses yeux s’humidifient. « Il ne faut pas que j’en parle trop longtemps ».
D’être là lui fait du bien. « Le matin je suis pressée de venir ici » apporter un peu de réconfort. Jean-François, son collègue au comptoir aussi discret qu’efficace, est seul pour Noël, « alors je l’ai invité pour le réveillon avec mes enfants ». Solidarité et amitié, Christiane en a fait sa devise. Elle rêve également d’un monde meilleur où tout le monde mange à sa faim, « qu’une fois à la retraite, ils puissent en profiter, qu’ils soient heureux. L’argent est mal réparti, c’est mon point de vue« .
Le 24 décembre, avant de retrouver toute sa famille, Christiane, charmant bout de femme, sera au Magny. A moins que d’ici là le camp redevienne un bout de terre sans âmes. Prémonition…
Jean Bernard