Montceau – La ligne de démarcation par Sébastien Joly, un passionné et passionnant

Au bout de deux heures, il s’est arrêté. Non parce qu’un Allemand lui avait intimé l’ordre de se taire _ ce n’est pas le genre _, mais parce qu’il était arrivé au terme de sa conférence. Encore que, si on lui avait laissé carte blanche, il aurait volontiers tiré lui-même les portes des Ateliers du Jour jusqu’au petit matin, avec la même ferveur qu’il met à ouvrir celles de la mémoire.

Écouter Sébastien Joly parler de la ligne de démarcation, c’est embarquer sans s’en rendre compte dans un fleuve d’histoires, sinueuses, poignantes, inépuisables. Il en connaît chaque détour, chaque remous. Cela fait des années qu’il explore ce territoire invisible, lui, professeur d’histoire au collège Anne Frank de Montchanin, et chercheur obstiné à ses heures, c’est-à-dire tout le temps.

Chercher, pour lui, c’est plus qu’un métier, c’est une manière d’exister. Il ne lâche rien. À partir d’un nom griffonné sur un bout de papier, il remonte les générations, les silences, les blessures. C’est un passeur, lui aussi. Et surtout un conteur, capable de tenir son auditoire suspendu à ses mots, non par effet de style, mais parce qu’il donne voix à ceux qu’on n’entend plus. Ces hommes et ces femmes qui, entre 1940 et 1943, ont vécu dans l’ombre portée de cette frontière intérieure qu’était la ligne de démarcation.

Des témoignages, il en a recueilli des dizaines, parfois arrachés à la pudeur, parfois livrés comme une libération. Il les a réunis dans un ouvrage récemment publié : La ligne de démarcation : entre histoires et mémoires.

Une histoire parmi d’autres, bouleversante, est celle d’Irène Némirovsky. Réfugiée polonaise, elle arrive avec son mari et leurs deux fillettes à Issy-l’Évêque. Nous sommes en juin 1940. Les Allemands ne tardent pas à y faire leur entrée. En 1942, les rafles s’intensifient. Les Némirovsky sont juifs.
« Le 13 juillet 1942, les gendarmes de Toulon-sur-Arroux arrêtent Irène. Elle sera déportée à Auschwitz, où elle mourra d’épuisement », raconte Sébastien Joly. En octobre, ce sera au tour de son mari. « C’est leur nounou qui sauvera les deux enfants. Elles survivront à la guerre. Pas leur père, mort dans un camp ».

La ligne de démarcation, ici en Saône-et-Loire, a littéralement fendu le département en deux (voir la carte). Elle traversait treize départements. Montceau-les-Mines, d’abord coupée en son centre, finira tout entière en zone occupée après un nouveau tracé.

Dans ce paysage de suspicion et de silence, certains Français ont pris tous les risques. Ils passaient des messages, faisaient franchir la ligne à des aviateurs anglais, à des familles juives, à ceux que l’Occupation condamnait à l’invisibilité ou à la mort.

À Chalon-sur-Saône, en zone occupée, et à Lux, en zone libre, deux garagistes, Camille Chevalier et André Jarrot, s’activent dans l’ombre. Le premier sera dénoncé, arrêté, fusillé. Le second, traqué, parvient à rejoindre l’Espagne, puis Londres. Il participera à la Libération.

Sébastien Joly déroule les noms comme un chapelet de mémoire : Françoise Angèle Lamanthe de Poisson, Jeannette Guyot (Chalon), qui sera nommée lieutenant FFI à la Libération. Et tant d’autres, anonymes ou oubliés.
« La plupart des passeurs, à la fin de la ligne de démarcation, rejoindront les rangs de la Résistance », dit-il.

Son temps est écoulé. Mais les mots, eux, continuent de résonner. Les échanges se poursuivront autour d’un verre, entre ceux qui savent, ceux qui veulent savoir, et ceux qui, peut-être, transmettront à leur tour.

J.B.

 

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