A la manufacture Gerbe à Saint-Vallier, le savoir faire est primordiale, les grandes marques de luxe y trouvent d’ailleurs collants à leurs pieds. Evelyne Neff, 58 ans, donne vie aux couleurs. Son ambition est de transmettre sa passion. Cherche candidat, candidate à former.
Au rez-de-chaussée des établissements Gerbe à Saint-Vallier, se trouve un lieu un peu secret. Il faut montrer patte blanche avant d’y pénétrer. Ici Evelyne Neff prépare ses mixtures, ses « potions magiques », elle est la druide des coloris. A partir du jaune, rouge et bleu, elle est capable de tout. Evelyne Neff, la Vassily Kandinski qui dans son tableau jaune-roue-bleu en 1925, met l’accent principal précisément sur ces trois couleurs primaires. « Créer une oeuvre c’est créer un monde » disait-il.
Evelyne Neff est coloriste chez Gerbe. Toutes les créations, toutes les couleurs et elle peut en produire quasiment à l’infini, sortent de son laboratoire où avec Bernadette, son assistante, tout est consigner, chaque formule notée. « C’est la même chose qu’un chef cuisinier avec ses recettes ».
Coloriste est un métier que des créateurs de mode s’arrachent. Evidemment, la technique s’apprend, la chimie aussi mais l’émotion, les sens, le silence du blanc, la passion du rouge, la gravité du noir, le jaune chaud, partent des sentiments, de l’environnement. « Partout où je vais, je regarde. Les idées, je les prends dehors. J’adore être dans un hall de gare et regarder les gens passer ». L’inspiration.
Philippe Genoulaz, directeur de la manufacture Gerbe, ne tarie pas d’éloges sur Evelyne Neff car depuis son arrivée en 2016, elle a ravivé les couleurs des collections. Avant, Gerbe travaillait sur des bases classiques, désormais des maisons comme Courrèges, Franck Sorbier, créateur de haute couture et d’autres grandes marques du luxe, s’en remettent à Gerbe et plus particulièrement à Evelyne Neff.
« Philippe (Genoulaz) revient avec un échantillon de cheveu ou juste un petit quelque chose et il me dit, voilà ils veulent cette couleur là » raconte la fée des couleurs. « A moi d’imaginer la bonne couleur pour que le collant aille avec la robe ».
Jaune, rouge, bleu et la chimie s’incruste dans le processus. « Un collant, il faut qu’il soit doux, solide, ne rétrécisse pas, qu’au moment de l’impression, la bonne couleur s’applique au bon endroit et pas sur un autre » explique Evelyne Neff. « Il faut faire très attention à l’eau, ici il faut l’adoucir parce qu’elle sert à laver le collant pour éliminer les produits ».
Elle a notamment travaillé sur le collant avec des fils d’or. « J’ai dû trouver une formule pour que l’or ne devienne pas gris après un lavage ». Le noir Gerbe, « c’est quatorze heures de teinture. Nous faisons les noirs les plus profonds qui existent« . Et personne d’autre.
Coloriste, Evelyne Neff l’est devenue après des années d’expérience. A 18 ans, elle entre dans l’industrie textile en Alsace. Son accent le confirme. Formée pendant sept ans, fait une école de textile à Mulouse, passé son BTS de chimie et travaillé avec un certain Eugène Hertoz. « Avec lui, j’ai tout appris, les classes de colorants, les produits chimiques ou encore comment rattraper les bêtises ». Elle sera même chef d’entreprise à deux reprises. « J’ai fait un peu le tour de France » admet-elle.
Aujourd’hui; Gerbe a repris des couleurs grâce à elle. Aujourd’hui, à 58 ans (sa collègue en a 59), la manufacture valloirienne pense à l’avenir proche. « C’est le moment de transmettre mon savoir faire », de passer le témoin. Toute la difficulté est là. Coloriste, jouer avec les couleurs primaires est un métier passionnant mais les candidats et candidates sont aussi rares qu’un trou dans un collant Gerbe. « Je suis la preuve qu’on peut y arriver en étant autodidacte. Pour se former, il faut deux ans. On peut faire une vraie carrière » affirme Evelyne Neff.
Quarante ans de métier à transmettre. Quant à l’âme créatrice, ce petit brin de folie, inutile d’être tombé petit dans le chaudron. Levez les yeux, observez le ciel et laissez vagabonder votre esprit. Tout est beau, alors jouez sur les sens et l’émotion. Gerbe vous colle à la peau.
Jean Bernard