Anne Hudry est peintre, Joël Frezet est photographe. Tous deux sont également investis dans la transmission de la mémoire : elle en tant que secrétaire, lui en tant que président de l’association Mémoire de lignes, implantée près d’Annecy. Ensemble, ils sont à l’origine d’une exposition singulière présentée au pôle culturel de Génelard, dédiée à un pan souvent méconnu de l’histoire de France : la ligne de démarcation.
Entre 1940 et 1943, cette ligne invisible mais bien réelle a coupé la France en deux, séparant la zone occupée par l’Allemagne nazie de la zone libre administrée par le régime de Vichy. Treize départements furent ainsi traversés, des Pyrénées à la frontière suisse. C’est sur ce tracé que les deux artistes ont entrepris un long voyage, un pèlerinage mémoriel autant qu’une quête artistique.
Joël Frezet a photographié les lieux, jouant avec le flou pour évoquer les contours incertains de la mémoire et souligner combien le présent peut encore parler du passé. Anne Hudry, elle, a choisi l’aquarelle pour redonner vie aux bâtiments emblématiques croisés sur la ligne. Parmi eux, l’école de Génelard, qui figure en bonne place dans l’exposition.
Mais les deux artistes ne se sont pas contentés d’accrocher leurs œuvres sur les murs. Ils ont voulu matérialiser cette frontière oubliée. « Nous présentons les aquarelles sous forme de ligne, avec d’un côté la zone occupée, de l’autre la zone libre », explique Joël Frezet. Une ligne blanche au sol traverse la salle, déborde des murs et oblige les visiteurs à l’enjamber, comme pour revivre physiquement la traversée d’un interdit.
Un texte accompagne l’ensemble, fruit d’une collaboration singulière entre les artistes et l’intelligence artificielle, guidée par leurs instructions. Il raconte l’histoire fictive d’une famille française, prise dans les tourments du XXe siècle. Une famille marquée d’abord par l’espoir né de l’après-guerre de 1918, puis par l’effondrement moral et politique de la Seconde Guerre mondiale, la sidération, la colère, la méfiance, la trahison, mais aussi la solidarité.
Marie-Noëlle Dazy, adjointe au maire, résume ainsi ce récit : « C’est l’histoire d’une famille qui espérait que ce serait fini… Elle rêvait, sans doute ». Et d’ajouter une question vertigineuse : « L’homme est-il devenu plus intelligent ? »
Car l’intelligence artificielle ne s’arrête pas au passé. Elle projette cette mémoire dans le futur et annonce une sombre hypothèse : le 24 septembre 2056, des organisations d’ultra-droite prennent le pouvoir sans résistance, instaurant une dictature mondialisée. Une dystopie qui interroge. Un avertissement plus qu’un récit. Un éternel retour de la domination des peuples.
En ce mois d’août 2026, cette exposition donne à réfléchir. Ou fait froid dans le dos.
J.B.
Exposition La ligne de démarcation, un voyage spatio-temporel jusqu’au 31 août 2025 au pôle culturel de Génelard, place de la Résistance, au bassin à Génelard
exposition du Pôle culturel dédiée à la Ligne de démarcation, en photos et peintures, illustrant les paysages de nos jours suggérés à travers le filtre de l’oubli, déjà à l’œuvre, tout au long des 13 départements traversés par la Ligne entre 1940 et 1943.








