Le vendredi 2 juillet, le Tour de France arrive au Creusot, un événement qui mobilise d’importants moyens pour la plus grande épreuve cycliste du monde. Polémik Viktor apporte sa réflexion et sa vision sur cet événement. Un dialogue à déguster comme une étape du Tour. Revêtira t-il le maillot jaune à l’arrivée ? Ou terminera t-il dans le gruppetto, incognito ?
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Tiens, bonjour Viktor ! Alors, que penses-tu de l’arrivée au Creusot du plus grand spectacle populaire gratuit ?
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De quoi tu parles ?
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Ben du Tour de France bien-sûr…
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Ah !!!
Je vais te surprendre, mais j’aime bien le vélo et jusqu’à 16 ans, j’ai fait de la compétition à l’UV Blanzy avec Dessertenne et Carneiro et, j’ai régulièrement couru à côté de Josiane Bost dans les critériums du département. Je n’ai jamais gagné une course mais j’ai aimé y participer.
En cadet, c’était déjà sauvage. Mon seul bon classement a été cinquième à Pouilloux en 69 ou 70 et il faut bien avouer que je ne le dois pas à ma performance athlétique mais à la mauvaise vue d’un commissaire de course qui m’a attribué cette place en notant mon numéro de dossard alors que je devais avoir deux tours de retard au moment du sprint final.
Voilà pour ma carrière sportive.
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Effectivement, c’est pas très glorieux mais revenons à nos moutons. J’ai senti une pointe d’agacement quand je t’ai parlé du Tour.
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Oui, oui et c’est même plus que de l’agacement. Je ne suis plus régulièrement l’actualité du cyclisme, mais je m’interroge beaucoup sur son organisation et ses dérives…
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Je te vois venir, le dopage sans doute ?
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Je t’arrête tout de suite et je vais sans doute te surprendre, mais le dopage, ne me pose pas vraiment de problème.
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Aïe, t’es complètement fou ! Comment peux-tu dire une chose pareille ?
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La compétition cycliste est née en 1868 au parc de Saint Cloud. Organisée par le monde vénal des courses de chevaux, elle a été gangrenée dès sa naissance par le même environnement maffieux où se mêlent les paris, les combines et le recours effréné aux stimulants. On y trouve les mêmes « soigneurs », je devrais dire mêmes sorciers que sur les hippodromes. Le cyclisme a donc le dopage dans son ADN. C’est un sport scandaleux et ses champions ne sont pas des modèles à suivre. Ils sont hors la loi. Leur monde n’est pas le nôtre. Et j’ai pour eux le plus grand respect.
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Tu peux m’expliquer parce que là je suis un peu perdu.
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Si le dopage ne me pose pas de problème rédhibitoire, je ne supporte plus l’hypocrisie qu’il y a autour. Le dopage, c’est un pacte avec le diable. Le champion, c’est Faust, le héros romantique de Goethe et de Marlowe, prêt à renoncer à la dignité humaine pour arriver à la gloire, et qui pour ça se lie à Méphistophélès qui lui fournira tout ce qu’il voudra durant douze ans. Ce que l’on accepte ailleurs, acceptons-le ici. Rien de plus et rien de moins.
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Tu n’exagères pas un peu là ?
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Non, car tu vas voir, il y a bien pire et là je vais en venir directement au Tour de France et à ta question sur le plus grand spectacle populaire gratuit. Populaire, ça ne fait aucun doute. Mais gratuit, alors là mon p’tit père, tu es loin du compte.
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C’est-à-dire ?
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Si tu le permets, avant d’en venir à l’inconséquence des élus sur le modèle économique du Tour, je voudrais citer quelques chiffres qui devraient te faire réfléchir sur la notion de gratuité que tu mets en avant. Le Tour de France appartient à Amaury Sport Organisation (ASO) qui pèse environ 240 millions d’euros de chiffre d’affaires et qui dégage un bénéfice annuel de 46 millions d’euros qui vont directement dans la poche de la famille Amaury actionnaire à 100% du groupe* bien plus soucieuse de son bien–être financier que par des considérations altruistes.
Le budget du Tour est secret, mais par recoupement, on sait qu’il représente environ 55% des bénéfices d’ASO. Son financement se répartit de la manière suivante : droits TV ± 50%, droits markéting/sponsors ± 42%, collectivités ± 8%**.
Et c’est de ces 8% dont j’aimerai parler. Pour accueillir le Tour, les villes d’arrivée d’étape payent 132 000 euros à ASO, les villes de départ, 265 000 euros. A ces sommes, il faut ajouter tous les frais annexes de décoration, de sécurité, de balisage de toute sorte, de personnels mis à disposition, etc, etc… Le tout financé par nos impôts, alors, tu peux me dire où est la gratuité là-dedans ?
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D’accord, mais enfin, te rends-tu compte du focus médiatique que représentent. des dizaines d’heures de retransmission, en direct, dans le monde entier, au cours desquelles on présente la ville, le département, la région ? C‘est donc une opportunité extraordinaire de faire connaître un territoire.
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Mais j’aimerais que tu me dises comment existerait le Tour, sans les villes et les routes de France ? J’aimerais que tu m’expliques en quoi ces villes perdraient en notoriété et en médiatisation si on faisait payer l’entreprise privée ASO pour pouvoir organiser son itinéraire ?
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Ah, là tu marques un point.
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Tout de même. Je trouve assez suspect que les élus de tous bords, qui sont à la recherche de la moindre recette pour financer certains de leurs projets, se complaisent dans ce système insensé. ASO privatise les routes, les villages et les villes traversées avec l’argent public et ça ne pose de problème à personne ? Elle est où la gratuité ?
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Tu es vraiment un emmerdeur ?
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Ah bon, tu veux qu’on parle du reste ?
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Quoi encore ?
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D’écologie par exemple. Même si ASO se vante de faire chaque année des efforts dans le domaine, l’empreinte écologique et le bilan carbone du Tour sont catastrophiques. Les 176 coureurs pédalent au milieu de 2.300 véhicules suiveurs. Il y a aussi des camions techniques (services d’ordre, secours, presse…), des bus, des hélicoptères, des avions, sans compter les 10 à 12 millions de spectateurs qui se déplacent, en camping-cars ou en voitures, pour admirer la course le long des routes. Et que dire de tous les déchets laissés aux bords des routes par le public ? Et que penser des coureurs qui jettent devant les caméras de télévision du monde entier des centaines de bidons qui mettront 250 ans à disparaître de la nature ?
Exemplaire, non ?
Parlons aussi de la caravane publicitaire et de ses 18 millions de petits objets, les « goodies », validés moyennant finance par ASO, qui sont distribués ou jetés depuis les voitures. Il s’agit majoritairement de gadgets en plastique, de qualité médiocre, de la plus faible valeur possible et fabriqués en Chine. La plupart du temps ils sont donnés dans un emballage en plastique transparent arraché et jeté sur place par les spectateurs les moins scrupuleux.
Les efforts qu’on a pu constater depuis quelques années sont marginaux et ce sont les collectivités locales qui ont la charge de nettoyer les 3.500 km que parcourt le Tour. Les dizaines de tonnes de déchets sont donc ramassées par les services de nettoyage des communes, des intercommunalités et des départements, qui, trop contentes d’accueillir l’événement planétaire, en acceptent le coût sans rechigner.
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Oui, incontestablement, il faut moraliser tout ça.
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Permets-moi d’ajouter à ça, que l’accueil de cet événement, pourrait être une magnifique opportunité pour mettre en avant le développement des plans vélo. Hélas il n’y a aucune corrélation entre le Tour et l’aménagement de l’espace publique pour la pratique du vélo au quotidien. Ne penses-tu pas que ASO, s’honorerait de défendre et de financer une partie ces dispositifs sur ces substantiels profits ?
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Oui, sans doute. Voilà une piste à creuser…
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Hi hi hi, très drôle ! Une piste cyclable, bien sûr. En attendant, business, profits, je ne vois aucune vertu chez ASO, qui privatise les routes, en font des zones de non droit où toute sorte de produits polluants et illicites circulent protégés par 23 000 policiers et gendarmes mobilisés sur l’événement ***. C’est pas formidable ???
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Oui facile, autre chose ?
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Que te dire de plus, sinon déplorer la représentation des femmes sur le Tour. Elles sont réduites à un défilé de poupées Barbie sur les podiums d’arrivée – complètement passives et totalement sexualisées pour faire la bise au beau mâle vainqueur alors qu’il n’y a plus de Tour féminin depuis 2009.
C’est dire à quel point, en plus d’avoir un modèle économique libéral insupportable, ASO salit plus le vélo qu’il ne le sert, avec la complaisance de tous.
Alors, toujours convaincu que le Tour est le plus grand spectacle gratuit du monde ?
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Finalement je me demande si je ne préfère pas quand tu parles de culture.
Polémik Viktor
* 239 766 513 € en 2019 selon BFM Vérif.
** Source L’argent du sport.com
*** Site du Ministère de l’Intérieur, extraits :
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La « bulle privative » du Tour de France est un espace privatisé par arrêté ministériel. Cette « bulle » est délimitée par les véhicules d’ouverture et de fermeture de la Garde Républicaine…
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Pour faire circuler et cohabiter les 176 coureurs du peloton, les 4500 suiveurs qui les accompagnent et les millions de spectateurs qui les encouragent, ASO sollicite le concours de l’Association des Départements de France (ADF)….
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Sur le parcours du Tour de France, 97% des voies sont entretenues par les départements. ADF joue donc un rôle central pour l’information et le guidage des usagers, la protection de la signalisation, la surveillance des ronds-points et des rétrécissements, ainsi que l’optimisation de la gestion des déchets et la remise en état de la route avant et après le passage des coureurs.
Bel article, bel éclairage.
Il est indéniable que les différentes collectivités ne dépensent pas tant d’argent pour réaliser des pistes cyclables, que ce soit en milieu urbain ou en campagne, le vélo, oui, mais pour une certaine élite !
et oui, 5 ans que l’ont promet le tout à l’égout à Blanzy ( CUCM) mais pas encore dans les projets ( trop cher pour les 11 maisons restantes à équiper dans la rue ) mais des centaines de milliers d’euros pour 5mn de spectacle, là , ont ne demande pas au contribuable , et ont s’en vante!!!