Escapade – Festival d’Avignon, quand le théâtre se fait rempart au monde

Le festival Off serait-il devenu un bastion de résistance, à l’heure où la culture ploie sous les coups d’un monde en plein désordre géopolitique ?

L’édition 2025, qui s’est refermée samedi, aura une nouvelle fois réuni, du 5 au 26 juillet, le In et le Off en un même souffle — une initiative saluée, une réussite éclatante. Plus de 1 700 spectacles, 139 lieux investis, 490 créations portées par 1 347 compagnies, des chiffres vertigineux, à l’image de la ferveur qui embrase Avignon chaque été.

Mais toutes les compagnies ne partent pas avec les mêmes armes. Certaines viennent pour exister, d’autres pour résister. Toutes espèrent, en tout cas, briller dans la lumière d’Avignon. Encore faut-il bousculer les codes, échapper aux carcans, et ne pas, au retour, devoir pousser la porte de son banquier pour étaler la dette. Le talent, c’est une chose. L’argent, une autre. La passion, elle, a toujours un prix, souvent lourd à payer.

En attendant que les comptes, bons ou mauvais, tombent, le In a enregistré un taux de remplissage record, 98 %, du jamais vu depuis dix ans, selon Tiago Rodrigues, directeur du festival.

Les titres des spectacles, eux, rivalisent de verve et de provocation, entre humour grinçant et auto-dérision lucide :
Pourquoi je ne suis toujours pas en haut de l’affiche ? (il cherche encore) ;
Ken ou comment rencontrer l’homme de sa vie — ou l’art de chercher l’amour à 60 ans sur un site de rencontres ;
Le cœur d’une femme ne bat pas seulement sous le sein gauche… ;
La petite boucherie du bonheur ;
Un ours en peluche dans une eau huileuse mêlée de kérosène ;
Rien sans mâle… Autant de promesses, de vertiges, de malices.

Alors on écoute, on échange, on note des noms, des titres griffonnés à la hâte sur un coin de programme. Et on se lance, que faut-il voir ?

Pour entrer dans la cadence du festival, on file voir La Solitude du coureur de fond, un souffle coupé net par l’intensité du jeu, par l’histoire d’un individu enfermé dans une maison de correction. Là où la sueur sent la rage et la révolte devient une poésie du corps.

L’Arche et le Château, lui, raconte le parcours d’un immigré arménien d’Istanbul, passé par un château du Loir-et-Cher. C’est pudique, poignant, traversé d’émotion vraie.

Encore plus fort _ et toujours dans une salle comble _ Gauguin – Van Gogh, une pièce haletante, qui sera jouée un mois durant à Paris à la rentrée. Pourquoi Van Gogh s’est-il coupé l’oreille ? Ici, les silences répondent aux cris, et l’on rêve un instant de voir ces deux âmes tourmentées réunies sur la scène de l’Embarcadère de Montceau.

Il y a aussi Tout contre la terre, un spectacle sur les blessures des paysans, les leurs, les nôtres. Une langue rugueuse, poétique, traversée d’humour et de douleur. On y sent la paille et la mort aussi.

Le festival In d’Avignon, on l’aime un peu, beaucoup, parfois à la folie. Il mêle ferveur populaire et exigence artistique, entre élans créatifs et remises en question. Il affronte les critiques, en particulier celles portées sur le In mais il tient bon face à des vents économiques contraires.

Cette édition, par son engouement, sa fréquentation exceptionnelle, laisse entrevoir des lendemains encore ouverts.

Et dans la conjoncture actuelle, c’est déjà immense.

 

J.B.

 

 

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